Utopie

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mercredi 5 septembre 2012

Monstres, par Pierre M.

 Une contribution de mon ami Pierre, pour le plaisir:
Illustrations (René Magritte)


Monstres…

« C’est quand l’homme parle de lui-même
Qu’il est le moins crédible ; donnez-lui un masque
Et il vous dira la vérité ! »
Oscar Wilde

D’ordinaire, les ténèbres d’une tanière conviennent parfaitement à ton existence
recluse de monstre sauvage et hargneux…
Mais c’est uniquement à l’ombre de nos épouvantes et de nos effrois que s’aiguise
patiemment ta fringale de lumière.
Apprenti sorcier ou sauveur providentiel, est-ce uniquement malchance si quelque
part, quelqu’un entrebâille trop souvent la nuit de tes cauchemars ?

N’empêche, mon cher Monstre, nous voilà encore une fois rassemblés autour de toi,
plaintifs, oublieux de toute menace…
Empressés à te bourrer ras-la gueule de nos grands maux, misères et autres
jalousies refoulées, jusqu’à pleine bave de tes crocs.
Evidemment, notre ignorance crasse suffira ensuite à étancher goulûment ta soif,
notre soif, au goût déjà écoeurant de rancunes et de revanches…
Cher, très cher Monstre, nous te sommes tellement redevables et si peu
reconnaissants !
Qui, sans jamais renâcler, risque sa vieille carcasse pour la sale besogne, sème
le trouble et l’émoi sur les bancs d’école, pique d’énormes colères bleues à la une
des journaux télévisés et se permet encore de jouer les gros bras sournois dans les
gentils contes du soir ?
Toi, seul, petit monstre !

Et pendant ce temps, nous, braves citoyens innocents, prenons grand soin de garder
nos mains propres et aussi nettes que celles d’un Ponce Pilate…
Car à l’évidence, c’est toujours la faute d’un dictateur halluciné, d’un libérateur
sanglant, de l’Ogre obscène ou d’un loup féroce ! A moins que cela ne soit celle de
l’imprécateur du coin ou de notre malfaisant de voisin si, d’alertes en agonies, la
chevillette du malheur s’affole et grelotte sans cesse de nos humbles chaumières
jusqu’aux caves sombres de nos cités.
Pauvres de nous ! Nous ne sommes jamais au courant de rien ni d’autre chose
d’ailleurs…
Pourtant, n’en faisons-nous pas un peu trop ?
Ce qui bruisse ou se trame, là-bas, au-delà de notre chez soi douillet, est-ce
véritablement le moment bien choisi d’en faire tout un drame ?

N’avons-nous pas assez de nos moutons à tondre, tant de rêves à déplumer, de
soleils insolents à voiler, tellement de fêtes à réjouir et de coffres à rassurer ?
Pourquoi se perdre alors, à se mêler des affaires des autres ?

Et pourtant…
Ces enfants juifs d’avant-hier, t’en souviens-tu ?
Ils étaient de chez nous et nous vivions près d’eux, n’est-ce pas ?
Nous tous, là, sous nos paupières lisses, nous les avions tellement côtoyés,
regardés aller, venir, courir, trébucher, se relever, marcher, partir et ne plus revenir,
c’est bien cela ?
Qui a vraiment cru, sérieusement, qu’on les leur offrait fraîches et joyeuses, leurs
vacances, dans nos wagons plombés ?
Qui commandait notre police, casques noirs et luisants de France, à la rafle brutale
d’un petit matin de janvier, dans les Vieux quartiers de Marseille, jetant ces petites
gens hors de leurs foyers, réveillant, exhortant le marmot de cinq ans que j’étais, à
nouer son baluchon avec les autres, devant sa mère en pleurs ?
Débusqués, chassés, exclus sans pourquoi ni raison !
Plus tard, au clairon allemand, s’évanouirent des pans entiers de nos maisons
volatilisées dans la poussière de notre enfance explosée…
Quel hasard vert de gris et qui veillait par là en service commandé, remarqua
sèchement sur le laissez-passer de mon père, brinquebalant son charreton résigné,
que nous n’étions pas juifs ?
Sur les trottoirs de ma mémoire, avaient-ils seulement eu le temps de jouer une
dernière fois aux billes, mes copains disparus que la crainte et le mutisme général
conduisirent tout droit vers les camps ?
Pour quel ciel beuglant, Monstre, leur étoile d’or ?
Combien de Justes pour leur tendre la main ?
Qui oserait à
présent me persuader que personne ne savait et que c’était les autres et que l’oubli
se fasse et le pardon ?
Pour quelles âmes mortes ?
Combien de petits pères Papon tissent actuellement la toile discrète d’une carrière
exemplaire, toujours prêts au premier glas de l’heure blême, à n’importe quel devoir
servile et tatillon, le doigt dignement posé sur la couture de la bonne conscience du
malheur ?
Pas toi, bien sûr…
Sans doute, sans doute, mais lui ? Et l’autre, là ?

Et pourtant…
Ces enfants des pierres, palestiniens d’aujourd’hui, écrasés de gravats, d’injures et
de mitraille, au nom de quelle arrogante volonté crèvent-ils, parqués depuis soixante
ans sous nos yeux, interdits de rires, de jeux et de pain, meurtris, fusillés, bombardés
à longueur de soleils, victimes de notre silence et de notre lâcheté, sur la terre de
leurs pères, barbelée d’exil ?

Pour quels lieux hautement sanctifiés, cette couleur atroce du cri des mères, pendant
que d’autres petits bonheurs espiègles n’en finissent pas d’ensanglanter et d’implorer
affreusement les deux côtés d’un mur de la honte ?
Qui saura un jour museler les canons, saisir à la gorge tous ces bâtards de guerre
pour les traîner à genoux, aux champs des larmes ?
Peut-on encore même s’imaginer, comme d’une caresse tendre, le verdoiement
renaissant d’une chevelure d’olivier, un seul jaillissement d’eau claire d’un puits
comblé par des ruines ?
Où sont les Justes pour cette Palestine promise aux uns, arrachée aux autres,
ouverte à tous ?
Il n’y a de peuple élu que par la paix, le respect qui lui est dû et qu’il doit pareillement
à la dignité de ses voisins !
Rien d’autre… Rien !

Et pourtant…
Après des nuits et des nuits assourdissantes d’alarmes et de destructions, sous la
morne indifférence des étoiles, pourquoi les enfants survivants de Bagdad subirent-
ils ensuite tant de privations ? Au nom de quels marchandages honteux
et pour quels profits ?
Qui se souvient de l’hallucinante apothéose de ces prodigieux tapis volants aux mille
et une gerbes incendiaires, métamorphosant en torches étranges et vives les bons
génies de leurs songes ?
Pour quel Veau d’or impudent, cet ignoble sacrifice, mon cher Monstre ?

Et pourtant, encore, hier et toujours aux quatre coins jolis de la planète, partout cette
enfance comme une insulte, vendue, battue, violée, prostituée, affamée, exploitée,
embrigadée, martyrisée, saccagée…

Monstre, très cher Monstre, tout cela, dis-moi, est-ce un peu par toi ou beaucoup par
nous ?
Pour nous aussi, n’est-ce pas, nous tous, maintenant et à l’heure de notre vie et de
notre confort ?
Ainsi soit-il ?
Pour la gloire de quels prophètes hideux, de quels dieux hilares ?
Quel Joueur de Flûte, miséricordieux et vengeur, reviendra tranquillement, un soir,
de sa montagne légendaire pour laver doucement tous ces chagrins et proférer la
terrible malédiction :
- « Allons, les mioches, allons ! Vite, partons ! Ne vous retournez pas ! Que les
rats, désormais, emportent tous ces fous ! »     
Monstre, petit monstre, rassure-moi, je t’en prie, ces bras croisés, ces regards
fuyants, ces lèvres closes au crachat de l’aube, c’était toi, le monstre, pas nous,
n’est-ce pas, seulement toi ?
Dis-moi ?

Combien de temps à brasser ce vent mauvais, ces paroles vaines, taire à nos
propres fils l’aumône mauvaise que nous jetons du bout de nos ongles à leurs frères
et à leurs sœurs d’ici et d’ailleurs ?
Sanglés, casqués, enturbannés, barbus, glabres ou cravatés, heureusement qu’ils
sont là, mon cher Monstre, tes preux salopards de l’Apocalypse pour endosser
à notre place, cette entière responsabilité collective devant le grand Tribunal de
l’Histoire !
Car sans nous, affreux dragons, sans nos convoitises, nos pleurnicheries, nos
chienneries, vous n’auriez rien eu à vous mettre sous la dent !
Rien, pas même un pet de nonne !
Jappez, jappez, misérables chiens de paille !
Et dire qu’il nous aurait suffit de vous étriller, de vous rosser proprement une fois
pour toutes, (oh, juste ce qu’il faut…) avant de vous effacer pour de bon de notre
ligne de vie et d’horizon ! Avant, bien avant…
Aboyeurs tristes de la nuit, qu’avons-nous fait à vous gaver des restes aigres de nos
égoïsmes forcenés ?
Comment avons-nous pu, si piteusement, vous regarder défiler, parader, pointant
fièrement votre menton, haranguer des foules furieuses ou soumises, promettre,
jurer et mentir, enfler et grandir avec vos bottes éculées, vos oripeaux puants de
vieille garde, votre compassion geignarde, vos sales petites griffes dans le dos et vos
grises mines des sept douleurs ?
Jusqu’à quand, allons-nous, sans réagir, nous laisser distiller, goutte à goutte, ce
venin de la désespérance ?

Cher, très cher Monstre, parce que nous t’avons d’abord craintivement apprivoisé
mais fort bien dressé à ruminer notre orgueil, vomir notre mépris, crachouiller notre
rancune, parce qu’avec nos piètres excuses et nos prières crocodiles, nous t’avons
mis le pied à l’étrier, le mors aux dents, la main à la pâte et la terreur au poing, il va
bien falloir, malgré tout, qu’on se décide à te haïr de toutes nos forces parce que tu
es tout à fait capable, sans aucune vergogne et pour ton seul bon plaisir, de dépecer
délicatement le bras même de ceux qui t’ont nourri et câliné…
Nous tremblons, nous supplions, nous invoquons…
Hélas, plus de bon Samaritain pour éclairer notre route, ni de sœur Anne en
sentinelle ni de chevalier blanc à la rescousse !
Pas même une de ces bonnes vieilles fées joufflues à lunettes pour nous réconforter,
prendre notre main, éclairer nos cauchemars…
Il y a belle lurette que la loupiote de ces malheureuses claque des dents dans nos
placards à chimères …
Pour les Judas de l’Espoir, quelle baguette magique ?

Monstre, abominable monstre !
Parce que toute aventure se termine et que de temps en temps, il est naturel
qu’un des méchants périsse, il nous faudra donc te poursuivre jusque sous la sale

poussière grise des livres d’Histoire pour te sacrifier sans aucun remords, ni oublier
de te renier solennellement- promis juré- afin de nous absoudre devant l’autel de la
sagesse des hommes civilisés.
Tu étais devenu ce monstre infréquentable que nous avions enfanté et qu’il était déjà
beaucoup trop tard pour réparer ce mal que la mémoire oublieuse des hommes aide
toujours à se reconstruire…
La seule et véritable question qui se pose maintenant, n’est pas de savoir si l’Ogre
vociférant aura faim de nouveau…
A vivre à même l’ordure et l’infamie, un monstre n’est jamais rassasié !
Ce qu’il nous importe de connaître, c’est le moment inéluctable que choisira sa rage
héréditaire de brute ignare et têtue pour nous contraindre, une fois encore, à mugir
éperdument avec lui, notre haine et notre hargne maladives toujours renouvelées…
Et tout recommencera…

Alors, pour tous les enfants à venir, bouillonnants de vie, d’impatiences et de rêves,
ne croyez-vous pas qu’il serait peut-être temps d’essayer autre chose ?
Quelques uns d’entre-nous, ne devraient-ils pas se décider, un de ces quatre, à
reprendre le chemin de la forêt de notre enfance, suivre un à un les menus cailloux
blancs de l’espérance, retrouver Poucet et sa bande et les prévenir, en douce, que
l’Ogre, ce vieux salaud voleur d’avenir, fera inévitablement semblant de mourir
jusqu’à la fin des temps dans la puanteur de son gouffre tant « que sera chaud et
fécond le ventre de la Bête immonde ».

Pierre Mangiavillano.
Marseille .23-02-03 – 14 août 2009 (in «La voleuse de Noël- petits contes nus pour fée d’hiver » inédit).

A l’occasion de la Commémoration de la destruction des quartiers du Vieux port de Marseille 23 janvier 1943

4 commentaires:

  1. hors sujet mais cet article devrait t'intéresser

    http://journal-en-ligne.la-croix.com/ee/lacr/_main_/2012/09/05/027/

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. jaimerais bien mais trouve-le moi sans abonnement, stp, merci!
      bonne soirée:-)

      Supprimer
  2. Mangiavillano pierre9/05/2012


    a bobcestmoi : qu'est-ce qui est hors sujet ? Et c'est quoi le sujet ?

    RépondreSupprimer


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