Utopie

L'utopie n'est pas un luxe, c'est une nécessité.

Translate

lundi 29 avril 2013

Ceux qui ferment les yeux

C'était il y a 20 ans. Il faisait froid, plus que cela, même. Il était environ 20 heures, et la température était de -15 ce soir-là. Le sol gelait littéralement. L'atmosphère semblait remplie de cristal de givre que chaque respiration exhalait. J'avais rendez-vous. Je me pressais, en prenant les artères de la ville éclairées, on ne savait jamais. Je marchais sur les pavés que le froid rendait brillants.
A la faveur de la lumière des réverbères, se devinait un corps allongé. Je l'ai vu de loin et j'ai vu aussi des silhouettes passer, glisser tel des ombres, au fur et à mesure que je m'approchais, plus la personne sur le sol semblait réelle et moins les passants l'étaient. J'ai pressé le pas, le plus que je pouvais. La scène me semblait incroyable. Les gens évitaient une personne tombée par terre! Cette distorsion de ce que je croyais ma réalité m'interpellait violemment. Ils ne voulaient pas voir quelqu'un gisant sur le sol, dans une température qui pouvait être mortelle pour quelqu'un qui pouvait être blessé...
J'ai atteint le corps et me suis penchée sur lui, un homme d'âge mûr, un peu enveloppé, cheveux gris sales, qui balbutiait des mots incohérents. J'ai vu un jeune homme brun de mon âge se tenir accroupi comme moi. Lui, avait eu le même réflexe:porter secours à cet inconnu.
Alors, s'est formé un attroupement, comme par magie, les gens ont arrêté d'éviter l'homme à terre. Il a fallu leur demander de s'écarter, tellement ils nous entouraient maintenant. L'inconnu semblait en fait saoul. Il avait du glisser et s'était retrouvé sur le dos, comme une tortue, il ne pouvait plus se lever, bloqué.
J'ai enlevé mon écharpe et l'ai mise entre sa tête et le sol. Le jeune homme est allé appeler les pompiers tandis que je parlais à ce que les badauds appelaient maintenant un poivrot, un vieil ivrogne qui méritait son sort...on désapprouvait même le fait que j'ai osé me servir de ma propre écharpe sur la tête d'un saoûlot qui devait être sale, de toute manière, répugnant, qui allait sans doute s'étouffer dans son vomi, si ça se trouve.

Les pompiers sont arrivés, ont constaté qu'il n'avait rien, en fait. La chute ne l'avait pas blessé. Il est rentré dans l'ambulance en grommelant. J'ai repris mon écharpe. Tout irait bien.

Oui, tout a du bien allé pour ce viel ivrogne parce qu'on s'est arrêté, ce soir-là. Mais s'il n'y avait eu que ceux qui ferment les yeux, il aurait très bien pu mourir par terre, comme un rebut, un détritus. A -20 degrés, bourré, on ne tient pas longtemps.
Je suis arrivé en retard à mon rendez-vous.

Mais j'aurai toujours la vision de ces gens qui évitaient soigneusement la vue d'une personne tombée sur le sol, telles des ombres inhumaines créant un espace vide autour de quelqu'un qu'on ne voulait pas voir, qu'on niait, qu'on occultait passivement, se découpant, grâce à la lueur des lampadaires de ville reflétant l'air glacé, dans mon regard.
Je n'ai pas compris et je ne comprends toujours pas.

C'était il y a plus de 20 ans, dans une ville de province. Il a fait très froid cet hiver-là. On ne comptait pas encore les SDF décédés à cette époque-là mais on avait déjà peur des marginaux.
Maintenant, ceux qui ferment les yeux sont-ils moins nombreux ou ont-ils augmenté encore? Je n'ai pas la réponse.

8 commentaires:

  1. Tu devrais habiter Paris. Tu serais blasée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est une constante dans ma vie: je ne m'habitue jamais à ce genre de situation.
      J'en ai vu d'autres, depuis.
      Paris n'est pas une exception.

      Supprimer
  2. Les pauvres, les SDF, les éclopés, les handicapés, les jeunes, les vieux, les immigrés....sont devenus des créneaux porteurs pour des tas d'officines en charité. Chacun y va de son petit couplet, de sa petite larme, la main sur le coeur. A droite surtout mais dans une certaine gauche aussi maintenant on s'indigne bien fort mais on fait en sorte de cacher ce qui nous dérange.
    Car dans le même temps on prône l'individualisme, la réussite personnelle, la consommation à outrance, le contentement de soi et donc l'indifférence tout en expliquant avec tellement de "bonne foi" qu'on ne peut pas accepter toute la misère du monde!
    Alors pourquoi secourir un individu qui n'est pas "méritant", qui boit ou qui se drogue? C'est une sorte d'eugénisme rampant . Place aux plus forts, à ceux "qui en ont" , les autres n'ont qu'à se débrouiller.

    Les riches ne veulent plus payer pour les classes moyennes qui ne veulent plus payer pour les chômeurs, qui ne veulent plus payer pour les rsistes ,qui ne veulent plus payer pour les immigrés ou les malades.

    Au bas de l'échelle on crève en silence, il y en a qui dorment ou qui font semblant.
    La solidarité ,ce terme ne sera bientôt lus présent dans nos dictionnaires ou alors figurera parmi les expression dont on se moquera. D'ailleurs je me demande si ce n'est pas déjà le cas.
    Juste une expérience ,donnes un euro à un roumain qui fait la manche et tu constateras la réaction des passants!
    Aujourd'hui ce n'est même plus de l'indifférence, on est plutôt tout près de la lapidation!
    Bonne semaine Rosa

    RépondreSupprimer
  3. Léontine4/30/2013

    Comme toi je suis toujours surprise pas tant d'indifference et de jugements hatifs.
    Je crois,malheureusement que les gens qui ferment les yeux deviennent de plus en plus nombreux..
    Les difficultés de la vie n'incitent pas les gens a se grouper,a etre plus solidaires.Au contraire,chacun se replie sur ses tracas,ses ennuis,ses problèmes a résoudre et s'occupe de moins en moins de comment va le voisin.
    J'habite Paris et je ne suis pas blasée.
    L'autre jour j'ai pris le metro pour aller "Place d'Italie"et là j'ai vu une quantité de gens..hommes et femmes enveloppés dans un duvet qui dormaient encore et qui,visiblement,avaient passé la nuit dans le métro.Toute la journée j'ai repensé a ces personnes qui,certaineemnt ont eu une autre vie et qui maintenant ne sont plus rien aux yeux de la société...Quel triste constat.

    RépondreSupprimer
  4. Ceux qui ferment les yeux.... sont déjà morts. Des ombres qui passent... déjà des spectres. Du néant se fondant dans la brume.

    Est vivant(e) celle ou celui qui s'arrête, qui voit, qui pense et qui agit.

    RépondreSupprimer
  5. Joseph4/30/2013

    Pourquoi vouloir culpabiliser ceux qui ont du mal à poser leur regard sur un sdf?
    Un sdf ça peut mettre mal à l'aise, et vous semblez dire que le passant est coupable de la pauvreté d'un pauvre homme sans abri.
    Les gens ont le droit de ne pas s'arrêter, ni même de regarder. Il y a déjà tant à faire pour s'occuper de sa propre famille, que ce que vous demandez aux gens relève tout simplement de l'exploit.

    Que les gens s'occupent bien des leurs avant d'aller s'occuper des autres, elle est là la priorité à mon avis. Et pas l'inverse. A quoi bon s'occuper des autres si vous vous en fichez de cotre famille? C'est assez dur comme ça de veiller sur les siens pour en plus aller s'occuper de ceux qui sont dehors.

    En gros, vous reprochez aux humains de ne pas être parfaits. C'est un procès quelque peu exagéré je trouve..

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Léontine5/01/2013

      Mais non..Nous ne voulons en aucun cas "culpabiliser "les gens.
      Mais,comme je le dis dans ma reponse les difficultés de la vie rendent les gens de plus en plus personnels et egoistes.
      Certes nous nous péoccupons tous de notre famille,des gens que nous connaissons mais pourquoi "les autres" n'auraient pas droit a un regard,a une minute d'attention.Nous ne sommes pas des animaux,des vaches dans leur étable a attendre simplement la botte de foin et l'eau qui nous est necessaire.Nous sommes tous des etres humains..et les plus démunis,les gens qui vivent dans la rue ont droit eux aussi a un peu de compassion,d'attention.

      Supprimer
  6. La droite est bien décomplexée cette année.

    RépondreSupprimer


Tout ce qui est positif pour la discussion et les idées est encouragé, tout ce qui est stérile et inutilement méchant ne sera pas publié

Contributeurs

Citoyen Reporter

Palestine Libre Nouvelles

Rappel de la loi

Pour rappel : la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion déterminée, est passible d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amendes (article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

La balise magique des liens en commentaires


Un bon truc afin de mettre des liens cliquables dans les commentaires: Vous mettez votre "lien" là où c'est indiqué et vous ajouté le texte qui l'illustre à la place de MOTS
http://www.commentcamarche.net/contents/496-les-liens-hypertextes

Pour me laisser un message par mail

About Me

Sites de référence

Compteur visites depuis le1/5/2012, mis en place le 10/6/2012

Compteur Global

scoop it

Nombre total de pages vues

Notre Devise Originelle

Notre Devise Originelle
A méditer