Utopie

L'utopie n'est pas un luxe, c'est une nécessité.

Translate

samedi 9 août 2014

D'une guerre coloniale à une autre

Un homme a écrit ceci un jour:

l y a donc un nouveau moment de la violence et c'est à nous, cette fois, qu'il faut revenir car elle est en train de nous changer dans la mesure où le faux indigène se change à travers elle. À chacun de mener ses réflexions comme il veut. Pourvu toutefois qu'il réfléchisse : dans l'Europe d'aujourd'hui, tout étourdie par les coups qu'on lui porte, en France, en Belgique, en Angleterre, le moindre divertissement de la pensée est une complicité criminelle avec le colonialisme. Ce livre n'avait nul besoin d'une préface. D'autant moins qu'il ne s'adresse pas à nous. J'en ai fait une, cependant, pour mener jusqu'au bout la dialectique : nous aussi, gens de l'Europe, on nous décolonise : cela veut dire qu'on extirpe par une opération sanglante le colon qui est en chacun de nous. Regardons-nous, si nous en avons le courage, et voyons ce qu'il advient de nous.

Il faut affronter d'abord ce spectacle inattendu : le strip-tease de notre humanisme. Le voici tout nu, pas beau : ce n'était qu'une idéologie menteuse, l'exquise justification du pillage ; ses tendresses et sa préciosité cautionnaient nos agressions. Ils ont bonne mine, les non-violents : ni victimes ni bourreaux !

Allons ! Si vous n'êtes pas victimes, quand le gouvernement que vous avez plébiscité, quand l'armée où vos jeunes frères ont servi, sans hésitation ni remords, ont entrepris un “ génocide ”, vous êtes indubitablement des bourreaux. Et si vous choisissez d'être victimes, de risquer un jour ou deux de prison, vous choisissez simplement de tirer votre épingle du jeu. Vous ne 1'en tirerez pas : il faut qu'elle y reste jusqu'au bout. Comprenez enfin ceci : si la violence a commencé ce soir, si l'exploitation l'oppression n'ont jamais existé sur terre, peut-être la non-violence affichée peut apaiser la querelle. Mais si le régime tout entier et jusqu'à vos non-violentes pensées sont conditionnées par une oppression millénaire, votre passivité ne sert qu'à vous ranger du côté des oppresseurs.
 

Vous savez bien que nous sommes des exploiteurs. Vous savez bien que nous avons pris l'or et les métaux puis le pétri des “ continents neufs ” et que nous les avons ramenés dans vieilles métropoles. Non sans d'excellents résultats : des pals des cathédrales, des capitales industrielles ; et puis quand crise menaçait, les marchés coloniaux étaient là pour l'amortir ou la détourner. L'Europe, gavée de richesses, accorda de jure l'humanité à tous ses habitants : un homme, chez nous, ça veut dire un complice puisque nous avons tous profité de l'exploitation coloniale. Ce continent gras et blême finit par donner de ce que Fanon nomme justement le “ narcissisme ”. Cocteau s’agaçait de Paris, “ cette ville qui parle tout le temps d'el même ”. Et l'Europe, que fait-elle d'autre ? Et ce monstre sureuropéen, l'Amérique du Nord ? Quel bavardage : liberté égalité, fraternité, amour, honneur, patrie, que sais-je ? Cela nous empêchait pas de tenir en même temps des discours racistes, sale nègre, sale juif, sale raton. De bons esprits, libéraux tendres - des néo-colonialistes, en somme - se prétendaient choqués par cette inconséquence ; erreur ou mauvaise foi : ri de plus conséquent, chez nous, qu'un humanisme raciste puisque l'Européen n'a pu se faire homme qu'en fabriquant des esclaves et des monstres. Tant qu'il y eut un indigénat, ce imposture ne fut pas démasquée ; on trouvait dans le genre humain une abstraite postulation d'universalité qui servait couvrir des pratiques plus réalistes : il y avait, de l'autre côté c mers, une race de sous-hommes qui, grâce à nous, dans mi ans peut-être, accéderait à notre état. Bref on confondait genre avec l'élite. Aujourd'hui l'indigène révèle sa vérité ; du coup, notre club si fermé révèle sa faiblesse : ce n'était ni plus ni moins qu'une minorité. Il y a pis : puisque les autres se font hommes contre nous, il apparaît que nous sommes les ennemis du genre humain ; l'élite révèle sa vraie nature : un gang. Nos chères valeurs perdent leurs ailes ; à les regarder de près, on n'en trouvera pas une qui ne soit tachée de sang. S'il vous faut un exemple, rappelez-vous ces grands mots : que c'est généreux, la France. Généreux, nous ? Et Sétif ? Et ces huit années de guerre féroce qui ont coûté la vie à plus d'un million d'Algériens ? Et la gégène. Mais comprenez bien qu'on ne nous reproche pas d'avoir trahi je ne sais quelle mission : pour la bonne raison que nous n'en avions aucune. C'est la générosité même qui est en cause ; ce beau mot chantant n'a qu'un sens : statut octroyé.

Pour les hommes d'en face, neufs et délivrés, personne n'a le pouvoir ni le privilège de rien donner à personne. Chacun a tous les droits. Sur tous ; et notre espèce, lorsqu'un jour elle se sera faite, ne se définira pas comme la somme des habitants du globe mais comme l'unité infinie de leurs réciprocités. Je m'arrête ; vous finirez le travail sans peine ; il suffit de regarder en face, pour la première et pour la dernière fois, nos aristocratiques ver- tus : elles crèvent ; comment survivraient-elles à l'aristocratie de sous-hommes qui les a engendrées. Il y a quelques années, un commentateur bourgeois - et colonialiste - pour défendre l'Occident n'a trouvé que ceci : “ Nous ne sommes pas des anges. Mais nous, du moins, nous avons des remords. ” Quel aveu ! Autrefois notre continent avait d'autres flotteurs : le Parthénon, Chartres, les Droits de l'homme, la svastika. On sait à présent ce qu'ils valent : et l'on ne prétend plus nous sauver du naufrage que par le sentiment très chrétien de notre culpabilité.

C'est la fin, comme vous voyez : l'Europe fait eau de toute part.

Que s'est-il donc passé ? Ceci, tout simplement, que nous étions les sujets de l'histoire et que nous en sommes à présent les objets. Le rapport des forces s'est renversé, la décolonisation est en cours ; tout ce que nos mercenaires peuvent tenter c'est d'en retarder l'achèvement.  


La France, autrefois, c'était un nom de pays ; prenons garde que ce ne soit, en 1961, le nom d'une névrose.
Guérirons-nous ? Oui. La violence, comme la lance d'Achille, peut cicatriser les blessures qu'elle a faites. Aujourd'hui, nous sommes enchaînés, humiliés, malades de peur : au plus bas. Heureusement cela ne suffit pas encore à l'aristocratie colonialiste : elle ne peut accomplir sa mission retardatrice en Algérie qu'elle n'ait achevé d'abord de coloniser les Français. Nous reculons chaque jour devant la bagarre mais soyez sûrs que nous ne l'éviterons pas : ils en ont besoin, les tueurs ; ils vont nous voler dans les plumes et taper dans le tas.

Ainsi finira le temps des sorciers et des fétiches : il faudra vous battre ou pourrir dans les camps. C'est le dernier moment de la dialectique : vous condamnez cette guerre mais n'osez pas encore vous déclarer solidaires des combattants algériens ; n'ayez crainte, comptez sur les colons et sur les mercenaires : ils vous feront sauter le pas. Peut-être, alors, le dos au mur, débriderez-vous enfin cette violence nouvelle que suscitent en vous de vieux forfaits recuits. Mais ceci, comme on dit, est une autre histoire. Celle de l'homme. Le temps s'approche, j'en suis sûr, où nous nous joindrons à ceux qui la font.

Jean-Paul SARTRE
septembre 1961 


 Il aura fallu 53 ans et tout ceci  n'a jamais arrêté et est toujours d'actualité, de la guerre d'Algérie à celle de Palestine.
Ce texte est cru, brutal, entier, magnifique, je n'en cautionne pas tout.
Mais j'aimerais tellement qu'un Sartre se lève maintenant, à moins que, comme il l'avait prévu, notre Europe, qui n'en finit pas de crever dans ce poison colonialiste, n'a même plus la force d'engendrer un tel génie.
Mais ça, c'est une autre histoire.

D'une guerre coloniale à une autre, de 132 ans d'horreurs en Algérie, les Debunkers en parlent bien.

Tout est là. L'oppression, les tentatives génocidaires, la volonté de transformer les résistants en terroristes, de faire passer pour des salauds ceux qu'on assassine, tout y est.

En fait, on a entretenu ce colonialisme bien au chaud dans les consciences et la mentalité pseudo-petite bourgeoise, on a continué à deshumaniser l'autre, bien entendu l'arabe, devenu le musulman, le sauvage, l'horrible, celui qui n'a rien à voir avec le "civilisé, c'est à dire nous, les démocrates, ami des colons"...humour...

Et on a accouché de monstres: Al Qaeda, L'Etat islamique au Levant, les extrémistes islamistes les plus barbares, bien nourris par notre haine. Ces monstres nous servent bien, à les brandir comme des épouvantails: voyez, ce que deviennent les musulmans, clament donc les imbéciles ou les moutons (quelque part ce sont les mêmes, faut dire). Sans dire que la plupart des musulmans rejettent les takfirites comme ils les nomment, comme des non-musulmans, des dévoyés, non, ça faut surtout pas le dire.

On se rendrait compte qu'ils sont des gros racistes et qu'ils ne valent pas grand chose, les islamophobes anti-arabes, anti-musulmans, laïcard quand ça les arrange.

Et on déshumanise les musulmans, au point de déshumaniser même les femmes.

Et on confond ces musulmans si décriés avec la lutte d'indépendance des Palestinens, qui n'est pas une question de religion mais de droit et d'humanité.

Ces gens-là, dont nombre de nous en France, n'ont plus d'humanité réelle, étouffée dans leur petit confort égoïste, ce conflit leur gâche leur sacro-sainte vacance d'été, mais quel mauvais goût ont les Palestiniens de ne pas se faire massacrer sans répondre et en silence...qu'ils acceptent leur sort de colonisés, de sous-hommes et éventuellement, s'ils sont gentils, qu'ils acceptent la domination du sionisme, ils auront une promotion, celle de sous-citoyens, au mieux...mais plus surement esclaves.

D'une guerre  coloniale à une autre.



 Texte entier :
http://1libertaire.free.fr/Sartre1961Fanon.html

6 commentaires:

  1. Plus qu'un "Sartre", il faudrait donner plus d'audience aux "Enfants" de Fanon (par ex.Billets d'Afrique et d'ailleurs).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai choisi cet extrait car il nous concerne, et que Sartres est évocateur.
      Ensuite, c'est vrai que cela renvoie à Fanon ;)

      Supprimer
  2. En 1961 justement, je commençais mon service militaire ((alors de 28 mois du fait de la guerre en Algérie). Je pensais être réformé, ayant contracté le paludisme... en Algérie, car j'y avais fait 2 durs stages d'été d'étudiant sursitaire cherchant à comprendre. Je fus enrôlé mais les "zotorités" sachant ma sympathie pour les arabes (je parlais encore un peu l'arabe d'Égypte de mon enfance) m'envoyèrent en Allemagne (époque de la "crise" de la construction du mur de Berlin). Puis en Algérie, mais après le cessez-le-feu de mars 62. Dans un village du sud-Constantinois, j'ai pu être témoin ému de la liesse de l'indépendance en juillet. Puis libéré en décembre 62 au bout de "seulement" 24 mois au lieu de 28, du fait des accords d'Évian, j'ai enfin découvert et Kateb Yacine et Fanon et Sartre, etc. et me suis engagé... avec au moins 2 ans de retard (du fait entre autres du PC qui me dissuada de devoir déserter, etc.)... mais mûri d'avoir été meurtri par l'usine à bêtifier qu'est l'armée "nationale"...
    Merci Rosaelle de remettre ce texte, effectivement d'actualité, HÉLAS...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. De rien.
      Cela fait longtemps que je l'avais dans mes notes, ce texte.
      Sartres a quelque chose de visionnaire, 53 ans plus tard.

      Supprimer
  3. Trois billets par jour, pour ne rien dire à part répéter les mots "racistes" et "islamophobes" comme des mantras. Et, à l'arrivée, un blog déserté, sauf par Babelouest et Rem, ces deux antisémites hors d'âge : beau résultat !

    Vous devriez partir en vacances : vous commencez à faire un peu pitié.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tiens, vous êtes là, vous?
      Vous êtes pas content? Je cite un auteur français, et ça vous va pas?
      Je dois me sentir touchée par ce que vous dites? Sérieusement?
      Sans rire?
      Mais votre avis, vous savez que vous pouvez vous le mettre où je pense?
      En plus, vous le savez.
      Soyez plus créatif! Vous devenez mou, dans le trollage.

      Supprimer


Tout ce qui est positif pour la discussion et les idées est encouragé, tout ce qui est stérile et inutilement méchant ne sera pas publié

Contributeurs

Citoyen Reporter

Palestine Libre Nouvelles

Rappel de la loi

Pour rappel : la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une race ou une religion déterminée, est passible d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amendes (article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).

La balise magique des liens en commentaires


Un bon truc afin de mettre des liens cliquables dans les commentaires: Vous mettez votre "lien" là où c'est indiqué et vous ajouté le texte qui l'illustre à la place de MOTS
http://www.commentcamarche.net/contents/496-les-liens-hypertextes

Pour me laisser un message par mail

About Me

Sites de référence

Compteur visites depuis le1/5/2012, mis en place le 10/6/2012

Compteur Global

scoop it

Nombre total de pages vues

Notre Devise Originelle

Notre Devise Originelle
A méditer