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vendredi 21 septembre 2012

A l'école : leçon de racisme ordinaire



Quand j'avais entre 7 et 10 ans, j'allais à l'école du village. Cela se passait dans des bâtiments construits fin XIXème siècle dans le style des classes qui sentaient la craie, les pupitres en bois avec le trou pour l'encrier, d'ailleur le stylo bille y était interdit comme hérésie suprême, on a même eu des cours d'écriture à la plume, avec les courbes, les déliers. La leçon de morale y avait encore cours, l'instituteur rejetant la décision de Pompidou de les proscrire, la règle en fer trônait pour les récalcitrants, le maître d'école ne se privant pas des châtiments corporels...
Le maitre était laïque, la blouse était bleu grise, la stature haute et la figure terrorisante, froide. L'homme était de droite traditionnelle, très impliqué dans la vie paroissiale.
Ce qui venait de 68 était une hérésie pour lui.
Moi dont le père s'était impliqué dans la cellule locale du parti socialiste, militait activement en temps que syndicaliste, avait pris activement part dans Mai 68, tout cela aurait du ne pas me toucher, je n'étais qu'une enfant. Mais l'instit en avait décidé autrement.
Cela se savait dans le village, c'était petit. J'étais fille de prof...
Il n'avait pas supporté qu'un "gauchiste" puisse avoir mieux élevé sa fille qu'il ne l'avait fait avec son fils, car nous étions dans la même classe. Non, il ne supportait pas.
Ce furent alors humiliations sur punitions injustes. Largement sous-notée, je n'avais pas le droit à l'erreur.

Et puis ce furent le choix de mes voisins de bureau...
Il y avait une fille de paysans dont le père obligeait celle-ci à aller aux vaches avant la classe, et qui ne se lavait pas au retour de l'écurie. La fille était frustre. Elle frappait souvent sans raison. Et elle puait le fumier, la vache, un truc terrible. Et bien j'y avais droit systématiquement. Mais c'était une fille de paysans et pour cette raison, je ne pouvais lui en vouloir vraiment.

Trois mois pas an, les Romanichels venaient s'installer à la place de la gare pour vendre leur travaux de rempaillage et autres. Ils étaient français. Ils devaient donc amener les enfants à l'école. Seulement ils n'avaient pas droit à l'eau et donc dans ce temps-là, ils ne pouvaient pas se laver. J'avais donc droit au gamin romano à côté de moi, qui sentait la crasse à plein nez.
Pourtant, je ne lui en ai jamais tenu rigueur. Il était gentil. Il ne m'embêtait jamais. Il essayait de rester dans son coin et puis le pauvre, il s'en prenait plus que moi de la part du maître car moi, j'étais au moins bonne à l'école même si on me saquait.

Puis il y avait le fils du maitre: pas un jour sans se faire engueuler, rabaisser, traité comme un moins que rien...

Cet homme m'a appris des bases, il est vrai. Sur plein de choses, son savoir m'a aidé.

Mais il est sûr qu'il m'a offert une chose très importante que j'ai payé cher, mais que je ne regrette pas: un bel aperçu de l'ostracisme, du racisme et de ce qu'on ressent quand on en est victime, parce que la plupart du temps, il n'y a aucune raison rationnelle, aucun justificatif.
Résultat: je me suis toujours sentie étrangère à certaines visions de notre société et proche de ceux qu'on méprise ou discrimine.
Et puis, il fallait que je comprenne pourquoi cet homme ne m'aimait pas, ce que cela voulait dire, droite et gauche, tradition et lutte sociale, la politique ayant fait irruption très tôt dans ma vie d'enfant.

 Cela ne risque pas de changer maintenant.
Un jour, j'ai pris une claque par cet instituteur car j'avais trouvé qu'il avait dépassé les bornes de l'injustice. Cela s'est fait dans le couloir, j'avais la marque sur ma joue, elle cuisait. Je suis revenue dans la classe, et je ne me suis pas assise tout de suite.
Dans ces cas-là, le fils du maître donnait le ton: il fallait rentrer en baissant le nez, rasant les murs, filant à son bureau, vite.
Je suis restée bien droite, à le regarder, en face du bureau,  lui, le maître, symbole de l'autorité, droit dans les yeux, un moment. 
Cela m'a semblé durer une éternité. J'étais dans un état second. Cela n'avait pas été juste. Je n'avais rien fait et je ne voulais pas lui faire le plaisir de m'écraser.
Je me fichais des conséquences.
Ensuite, je me suis assise. 
L'armoire à glace d'1,85, je l'ai senti vaciller, à ce moment précis. Il ne m'a pas punie pour ne pas m'être assise de suite. Il n'a rien osé dire. C'est lui qui a plié.
J'avais 9 ans 1/2. 

15 commentaires:

  1. L'école est allée d'un extrême à l'autre ... on se demande bien par quel bout il va falloir le prendre pour rétablir un ordre juste. Moi j'ai des souvenirs de chewing-gum collé à la racine des cheveux par la maîtresse si on avait oublié de le jeter avant d'entrer en classe ...

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    1. oui, c'est parce que le respect, c'est d'abord une affaire de confiance et de réciprocité, ce qu'on oublie trop souvent.
      Avoir peur, c'est pas respecter.
      merci:-)

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  2. Baptiste N.9/21/2012

    Comment a fini ce Monsieur ?

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    1. Maire du village...mais pas longtemps juste 4 ans.
      Je suppose que ces méthodes d'administration ne furent pas du goût de tous.
      Il est maintenant vieux et fatigué, responsable bénévole de la bibliothèque de la commune voisine, fait dans l'association aux dons alimentaires... cherche sans doute à s'acheter un coin de paradis, comme beaucoup. Triste...

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    2. Baptiste N.9/21/2012

      Cela me peine beaucoup.

      Sans doute parce qu'au fond je n'envie pas sa condition, tout en sachant que j'y vais tout droit.

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    3. Pourquoi?
      Vous avez des choses à vous reprocher?

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    4. Baptiste N.9/21/2012

      Parce que, quoi que l'on fasse, tôt ou tard, nous nous retournons vers nos années passées, a trouver ce qu'elles comportaient de bien, ce qu'elle comportaient de mal ... C'est triste de perdre le temps que l'on a, sursitaire, a ne pas le prendre.

      Des reproches, oui, on en a tous a ce faire. Enfin, je crois, surtout, je pense que dans mon cas cela s'applique.

      Non, mais ma tristesse viens juste du faite qu'il semble par vos propos, cet homme, dans une politique de "rachat", c'est triste de vivre avec l'idée qu'il faut ce racheter auprès de quelque chose.

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  3. Non, Nevermore, vous n'êtes pas censuré, vous n'êtes pas publié car vous n'avez rien à faire ici: il y a des blogs pour vous.
    Ici, vous n'êtes pas invité.

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  4. Joseph9/21/2012

    Ces profs que vous semblez ne pas aimer, peut-être à juste titre, savent mieux que quelconque autre prof, faire tourner une classe. J'ai la nostalgie de cette époque où on respectait le prof, même si parfois il était injuste.

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    1. Non, c'était lui.
      En tant que professeur, par rapport à la culture, il était bon.
      Par contre, il a terni ce qu'il était en se comportant ainsi.
      Il n'était pas tous les instits et tous les profs.
      Ce serait injuste et discriminant de dire cela.

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    2. Joseph9/21/2012

      Du coup, il n'était peut-être pas loin d'être considéré comme un prof parfait.
      Je pense que ça du vous enrichir, car on apprend davantage des gens qui nous sont opposés, que de ceux qui nous ressemblent.
      Avec le recul, cela vous a peut-être permis d'avoir une vision plus large du monde.
      Ce ne sont que des hypothèses bien sur.
      Car le coup de règle, rassurez-moi, ne fait pas le raciste?

      Je le mets en parallèle avec ce que j'ai entendu l'autre jour sur Europe1. Notre société, à force d'être permissive, a effacé l'image du père. On a voulu avec mai 68, enlever l'autorité, qui se faisait trop ressentir, et de là en a découlé un ramollissement des méthodes d'enseignement.

      En tout cas, j'espère que les injustices que vous avez subies vous auront renforcée.

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    3. C'est ce que je dis dans le message: ce n'était pas moi la plus à plaindre mais ce jeune romanichel car cela arrangeait bien ce petit monde qu'il ne puisse se laver.
      Non, le coup de règle ne fait pas le raciste, l'injustice c'est plus de l'ostracisme.
      Ce n'est pas exactement la même chose.
      On était clairement raciste avec le jeune garçon du voyage, moi c'était une autre discrimination, une vengeance d'un racisme social.
      Mais oui, cela m'a permis de comprendre mieux ce monde

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  5. Joseph9/21/2012

    Pour la zizanie en cours, aujourd'hui, je reste intimement convaincu que c'est à cause des parents qui font mal leur boulot. Un enfant à qui on montre ce qui est bien, et ce qui est mal, a presque toutes les chances d'être attentif à l'école.

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    1. alors là, trop complexe pour vous répondre en un commentaire

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    2. Joseph9/21/2012

      Je comprends, vous inquiétez pas.
      Je voulais juste vous faire part d'un point de vue, qui je sais est très discutable par les temps qui courent.
      Chaque problème a une racine, et la racine d'un être humain, ce sont ses parents, sa famille. Ce n'est que mon opinion, que je voulais partager avec vous. En aucun cas je ne cherche à vous convaincre.

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